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jeudi 11 octobre 2012

Le baudet et le dragon

   

Le baudet et le dragon

 

Depuis la fin des années 1990, la Région Poitou-Charentes et le Vietnam entretiennent des fécondes relations culturelles.

Par Anh- Gaelle Truong Photos Laval

 

Le 

premier orchestre symphonique vietnamien, la première compagnie de danse contemporaine, le premier spectacle de clowns vietnamiens applaudi au festival d’Avignon, le premier grand festival de création du Vietnam, une bande dessinée collective franco-vietnamienne aujourd’hui épuisée, un court métrage franco-vietnamien primé au festival «Aux frontières du court» de Marseille… De nombreuses et fructueuses créations sont à mettre au crédit de la coopération culturelle établie depuis la fin des années 1990 entre la région Poitou-Charentes et le Vietnam. 
 À quoi est due cette réussite ? 
Qu’est-ce que cette «signature Poitou-Charentes» que le producteur nantais Philippe Bouler évoque pour qualifier ces processus de co-création ? Il fallait, au préalable, comprendre la culture vietnamienne : un mélange de social réalisme communiste – prédominant dans l’audiovisuel – et d’excellence classique apportée par l’enseignement russe notamment dans les sphères du cirque, des beaux-arts, de la danse ou de la musique. Le relâchement de l’emprise soviétique ayant conduit à de profonds déficits de formation dans certaines disciplines. Enfin, la volonté de donner à leurs productions une dimension internationale a souvent conduit les Vietnamiens à privilégier l’art de la copie aux dépens de l’expression de leur culture traditionnelle qui n’affleure plus que ça et là.
François Serre, professeur de son au Lycée de l’image et du son d’Angoulême, le Lisa, intervient depuis plusieurs années, plusieurs semaines par an, auprès des élèves de l’École supérieure de théâtre et de cinéma (EStC) de Hô-Chi-Minh-Ville. «La pensée culturelle vietnamienne est communiste et l’ensemble de l’audiovisuel vietnamien a été formé par les Russes. L’idée sociale réaliste selon laquelle les films doivent être compris par tout le monde, sur les cinq continents, ne conduit pas à réaliser de super films…» Et les derniers enseignements datant de 1975, «l’audiovisuel vietnamien souffre d’un réel déficit de formation» – la méconnaissance des évolutions techniques et des codes culturels internationaux l’empêchant de connaître un développement international. «Mon travail consiste à leur redonner un niveau d’écoute et de fabrication international.» Histoire d’en finir avec des erreurs anecdotiques mais significatives comme placer Jingle Bells en bande-son d'une scène se passant en été.

Une forte empreinte Russe


En 2006, au cirque de Hanoï, Hugues Roche, le directeur de la compagnie niortaise de clowns, Les Matapeste, constate : «Les clowns les plus âgés avaient une excellente formation, surtout corporelle, que leur avaient dispensée les Russes. Par contre, ils avaient tendance à se transmettre les numéros d’anciens à jeunes et à vouloir faire du cirque international en copiant les Occidentaux.»
Les atouts et les lacunes du Conservatoire de Hanoï tels que les perçoit en 1997 Claudine Gilardi, directrice de l’Orchestre Poitou-Charentes, sont aussi modelés par les Russes. «Les cordes avaient un excellent niveau grâce à la formation en Russie tandis qu’il n’y avait pratiquement pas de cuivres ou de vents. L’harmonie était très faible et les instruments de très mauvaise qualité.»
En 1998, la chorégraphe Régine Chopinot, alors à la tête du Ballet Atlantique, elle, est très impressionnée par ce qu’elle voit au Ballet-Opéra et à l’École supérieure nationale de danse du Vietnam. «La formation est hallucinante. Ils disposent de studios avec une logistique incroyable et l’enseignement est d’une qualité… Ils apprennent l’histoire, l’anatomie, la musique… Ils sont vraiment très aboutis.» Pas de déficit de formation donc en danse au Vietnam, ni de différence particulière avec les autres pays quand il s’agit d’appréhender la danse contemporaine. «La danse contemporaine, par son abstraction, est compliquée à accueillir partout dans le monde et à tout moment. Même quand Cunningham meurt, la danse contemporaine n’atteint pas le grand public.»

Chez les dessinateurs non plus, pas de déficit de formation à combler, seulement des horizons à ouvrir. Quand Gérald Gorridge, professeur de bande dessinée à l’École européenne supérieure de l’image à Angoulême, anime en 2001 sa première master class à l’École des Beaux-Arts de Hanoï, il trouve de très bons artistes, rôdés aux techniques académiques du dessin de nus, de perspective, à partir de modèles… En revanche, «ils ne connaissaient rien à la bande dessinée».

Création de nouvelles formes


Pour Adrien Guillot, chargé dès l’édition 2006 du festival de Hué d’y faire valoir les arts de la rue, «ces échanges ne s’inscrivent pas dans une logique d’import-export où les Français apporteraient leur modèle. Une véritable coopération est recherchée, entraînant de nouvelles formes de création partagées entre artistes, propices au dialogue des civilisations.» Et pour le producteur Philippe Bouler, associé (à l’époque en binôme avec Jean Blaise) à son organisation depuis la première édition du festival en 20001, ce processus de cocréation franco-vietnamienne est singulier. «ça, on peut dire que c’est la signature du Poitou-Charentes. À Hué, contrairement aux artistes d’autres nationalités qui viennent montrer leur spectacle aux Vietnamiens et repartent au bout de deux jours, les Français préparent les spectacles sur place avec des équipes vietnamiennes.» Ainsi, par exemple, le sculpteur Denis Tricot est venu faire une semaine en repérage en novembre 2009 et a réalisé ses installations
dans le mausolée de l’empereur Thu Duc et dans le palais Dien tho pour l’édition 2010 avec cinq Vietnamiens, professionnels du bois, avec lesquels il a passé une dizaine de jours. «Je n’ai pas eu l’impression d’être un artiste invité, j’ai partagé avec mon équipe tous les moments de travail et de vie quotidienne.»
Pour la prochaine édition du festival qui aura lieu du 7 au 15 avril 2012, la compagnie Carabosse va enfin enflammer la cité impériale – «ça fait douze ans que je les attends !», se réjouit Philippe Bouler. Pour ce faire, seule une équipe réduite viendra des Deux-Sèvres au Vietnam. L’objectif étant d’utiliser les quarante jours de résidence avant le spectacle pour composer une équipe de quarante Vietnamiens et le concevoir sur place.
Philippe Bouler lui-même passe environ quatre mois par an dans la seule perspective de préparer le festival. Et le producteur de multiplier les exemples pour montrer combien ces artistes-là respectent la culture vietnamienne. Ce respect semble d’ailleurs un élément essentiel pour expliquer la relative facilité qu’il a eue à «pousser le bouchon» toujours un peu plus loin dans les propositions faites au Comité populaire, au directeur du festival ou au ministère de la Culture vietnamien.
Alors que la musique au Vietnam ne se conçoit que jouée dans une salle, avec les musiciens et les spectateurs assis, la fanfare niortaise du Snob bouscule les habitudes des rues de Hué en 2008. Alors que le patrimoine sacré et religieux n’a jamais été investi, Denis Tricot obtient l’autorisation des descendants de l’empereur d’installer ses élégantes et sinueuses lignes de bois dans le mausolée de Thu Duc. «En comprenant ce tombeau construit selon les principes taoïstes, j’ai pu instaurer un dialogue avec le site. L’installation a été très appréciée.» Un équilibre savant d’audace – «dès les débuts du festival j’ai dit au comité de pilotage l’impossibilité de fournir des éléments précis sur la teneur des spectacles de création», précise Philippe Bouler – et de respect a permis d’instaurer la confiance entre les Français et les Vietnamiens.

Du temps avant tout


Autres traits communs à ces réussites : le temps accordé et la qualité du savoir transmis. «Les bonnes coopérations donnent de la liberté. Il faut fournir les supports pour qu’ils puissent marcher tout seuls et du temps, au minimum sept ans pour fabriquer une relation ouverte et dynamique», résume Régine Chopinot. De 1998 à 2005, elle multiplie les allers et retours entre La Rochelle et Hanoï pour «transmettre ma passion, causer, entendre, essayer de fabriquer de l’intelligence, de la curiosité, de l’obstination». La chorégraphe a ainsi contribué à donner naissance à la première compagnie de danse contemporaine du Vietnam, la Compagnie +84 créée par trois de ses anciens élèves. «Et, ajoute-t-elle,
les liens que nous avons tissés sont si fort qu’ils ne disparaîtront jamais. Je sais que si un jour je suis SDF je serais toujours accueillie là-bas.»
De 1997 à 2007, Xavier Rist et quelques musiciens de l’Orchestre Poitou-Charentes ont accompagné le Conservatoire de Hanoï dans la création du premier orchestre symphonique du Vietnam. Résultat : au bout de dix ans d’échanges, l’orchestre fonctionne de façon autonome et, aboutissement inimaginable de cette coopération, le groupe de rock français Indochine leur demande d’assurer la partie symphonique du concert du 19 mai 2007 au Palais Omnisport Paris Bercy devant 17 000 personnes. Pour la directrice de l’OPC, Claudine Gilardi, «c’est une belle fin pour une coopération exemplaire». Elle regrette cependant que des liens n’aient pas été conservés avec la Région Poitou Charentes depuis l’envol de l’orchestre vietnamien.
Une belle relation est aussi née entre Les Matapeste niortais et les deux clowns Phung Dac Nhân et Pham Thanh Duong. «Pour nous ce fut une expérience unique et très forte en particulier parce que nous sommes partis de presque zéro», confie Hugues Roche. Pourtant, membres du cirque de Hanoï, Nhân et Duong sont devenus clowns par défaut. Cinq ans après la première session de formation assurée par les Matapeste, suivie de nombreuses autres au Vietnam ou en France ; après avoir approfondi leur appréhension de l’espace, de l’écriture, de la pantomime, les clowns vietnamiens ont créé un spectacle de 55 minutes, en vietnamien, accompagné de musiciens vietnamiens du théâtre Chéo, applaudi au festival d’Avignon 2011 mais aussi au Très grand conseil des clowns de Niort, à Tremblay-en-France ou au Luxembourg. «La clé paradoxale de ce succès en France, explique Hugues Roche, c’est que nous avons réinjecté de l’asiatique dans leur pratique de clowns. Les spectateurs d’Avignon étaient ravis parce qu’ils avaient voyagé.»
Le dessinateur Gérald Gorridge est heureux de l’expérience qui lui est offerte en 2001 d’animer un premier cycle de master class avec une dizaine d’élèves de l’École des Beaux-Arts de Hanoï. En 2004, paraît Ké Moï, un ouvrage collectif très remarqué au Vietnam et en France. Mais il garde du deuxième cycle entamé en 2004 un goût d’inachevé. Ces master class se sont terminées par l’exposition de planches au festival de Hué 2008 sans se traduire par une publication de ce qui devait s’intituler Mat Ké (Le visage raconte). Il regrette que le soutien à l’édition, promis par la Région, ne se soit pas concrétisé. «C’est dommage, même s’il y a des planches, la BD n’existe pas tant qu’elle n’est pas éditée.»

Un marché aussi


Au-delà de sa propre expérience, le dessinateur pointe l’intérêt économique d’une présence de la bande dessinée française au Vietnam. «La croissance vietnamienne atteint 8 % par an, c’est un marché important où il est important d’asseoir l’influence européenne.
Surtout quand on a déjà gagné la confiance des acteurs, c’est regrettable de ne pas continuer et de se faire rattraper par les autres.» Les autres : les mangas japonais et la BD belge. «Les Belges ont créé un festival de BD qui se déroule en juin à Hanoï, les auteurs présents sont exclusivement belges.» L’intérêt économique est aussi évoqué par François Serre, du Lisa. «Il ne faut pas négliger cet aspect de notre coopération. Si nous ne formons pas les élites vietnamiennes au cinéma européen, ils n’achèteront jamais nos films.».

Festival de Hué 2012


Le festival de Hué est né en 2000 avec un soutien financier français d’un million de dollars (ministères des Affaires étrangères, de la Culture, secrétariat d’État au Tourisme, Régions Poitou-Charentes et Nord-Pas-de-Calais, sponsors) dégressif au fil des éditions. Seule à n’avoir pas réduit ses engagements, la Région Poitou-Charentes est à ce jour le partenaire principal du festival en attribuant 150 000 euros.
Venues du Poitou-Charentes pour représenter la région, principal partenaire du festival, la fanfare Jazz Combo Box anime les rues de Hué, la compagnie Carabosse enflamme littéralement la cité impériale et la scénographe Vanessa Jousseaume propose des écoutes alanguies de textes extraits de la littérature romantique vietnamienne sur ses Oreillers rouges. 
D’autres artistes français, invités par la ville de Rennes ou l’ambassade de France, se joignent aux centaines d’autres venus du monde entier pour cette 7e édition du festival de Hué qui se déroule du 7 au 15 avril.

www.huefestival.com


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